Sud-Kivu : Les mythes à la base des abus sexuels à l’égard des femmes autochtones pygmées à Idjwi (Reportage vidéo)

Rédaction Centrale
11 Min Read

« Coucher avec une femme autochtone pygmée vous lave de toute sorte de malédictions, mais aussi vous laisse guérir des plusieurs maladies telles que les maladies de dos et d’autres maladies », tel est le mythe qui a pris encrage dans plusieurs contrées de la province du Sud-Kivu, à l’Est de la RD Congo. Suite à ces mythes, les victimes des viols, violences et abus sexuels, sont enregistrés au jour le jour sous l’œil impuissant des autorités.

C’est par exemple sur l’île d’Idjwi où des hommes de la communauté Havu commettent des abus sexuels à l’égard des femmes autochtones pygmées qui se retrouvent abandonnées à leur triste sort sans justice ni réparation.

Suivez en vidéo l’intégralité du reportage !

Les femmes autochtones pygmées, la cible fragile des mythes à Idjwi !

Kalimunda est femme autochtone pygmée et mère de deux enfants. Orpheline de père et de mère, elle dit avoir été abusée sexuellement par deux hommes Bantous de la communauté havu sur l’île d’Idjwi, en province du Sud-Kivu, à l’Est de la RD Congo. Suite à des mythes Havu selon lesquelles; coucher avec une femme autochtone pygmée guérit des maladies, elle est tombée enceinte de ces hommes parmi lesquels, un enseignant d’une école primaire du milieu qui lui a contraint d’avorter, mais elle a choisi de garder son enfant. Kalimunda crie justice, car elle est abandonnée et vit sous le seuil de la pauvreté.

« Ils ont abusé de moi et je réclame toujours justice. Ils ont couché avec moi en me promettant de m’épouser et je suis tombée enceinte, mais ils ont refusé de m’épouser et ont nié toutes les responsabilités. Ils m’ont même influencé d’avorter pour effacer les traces, mais j’ai refusé et j’ai décidé de garder le bébé. Je peine beaucoup pour les élever. Nous vivons ensemble à la maison dans des conditions très difficiles. L’un est un enseignant et je vais le dénoncer dans son école pour qu’il soit licencié », témoigne Kalimunda.

A en croire les témoignages recueillis dans le village de Kisiza, en groupement Mpene dans le territoire insulaire d’Idjwi, en province du Sud-Kivu,  Cette situation est très fréquente et se répande sur les filles autochtones mineures dans cette partie de la RDC où plusieurs femmes autochtones pygmées sont abusées sexuellement et n’ont jamais obtenu justice.

Par manque de justice, Asifiwe, une fille autochtone pygmée âgée de 17 ans, a voulu prendre refuge dans le mariage, mais aucune chance, car, dit-elle, les hommes bantous de la communauté Havu sont enchaînés par la coutume.

« Nous sommes vraiment méprisées, nous les femmes pygmées. J’ai un enfant avec  qui nous vivons dans des conditions difficiles. Les familles des hommes Bantous disent qu’un homme ne doit pas épouser une fille autochtone pygmée parce que nous ne sommes pas de même rang. Je suis allée chez l’homme Bantou de la communauté Havu qui m’a engrossé, mais sa famille a brûlé tous mes habits et même le matelas et les draps parce que je n’ai pas le droit d’épouser un homme Bantou. Ici, une fille qui porte la grossesse d’un Bantou est considérée comme un chien de la poubelle », témoigne Aasifiwe Bahamuzi.

Même indignation pour Selemani Samunane, représentant des peuples autochtones dans la chefferie Ntabuka. Il dénonce les abus sexuels dont sont victimes les femmes de sa communauté à cause des mythes Havu. Selemani fustige l’impunité et l’injustice de l’État congolais dans ce dossier.

« Les hommes Bantous commettent des abus sexuels à l’égard des femmes autochtones pygmées de ma communauté. Ils disent que coucher avec une femme pygmée peut les guérir des plusieurs maladies comme le maux dos. Ces femmes autochtones sont victimes de ces abus est sont maltraitées par les hommes bantous de la communauté Havu. Et chaque fois quand nous amenons le dossier devant les instances judiciaires, les hommes bantous nient toute responsabilité, la justice devient corrompue et les droits de ces femmes restent violés », s’indigne Selemani Samunane, représentant des peuples autochtones dans la chefferie Ntabuka.

Quel engagement de la part du gouvernement local ?

 « Un autochtone pygmée est un humain comme nous », déclare Bisimwa Bifuko Jean-Claude, chef de Groupement Mpene, dans la chefferie Ntambuka en territoire d’Idjwi. Ce mandateur du gouvernement ayant sous sa juridiction les villages occupés par les autochtones pygmées à Idjwi Sud, confirme les faits. Il indique que les efforts sont fournis pour mettre fin à cette pratique, il appelle les victimes à saisir les instances judiciaires afin que les auteurs soient punis conformément à la loi.

« Jadis, les pygmées étaient marginalisés,  mais actuellement à travers des formations et des sensibilisations, les bantous comprennent que nous avons tous les mêmes droits. Par rapport à ces abus dont sont victimes les femmes autochtones, elles doivent dénoncer afin que les auteurs subissent la rigueur de la loi. S’ils ne dénoncent pas, nous en tant que l’Etat, nous ne saurons pas ce qui se passe dans leurs entités. Mais nous invitons déjà les autochtones pygmées dans des séminaires pour les sensibiliser sur leurs droits », renseigne Bisimwa Bifuko Jean-Claude, chef de Groupement Mpene, dans la chefferie Ntambuka.

Une lutte sans fin, mais loin à donner des fruits !

« Tout homme malveillant qui se trouve devant une femme autochtone pygmée dans une zone non sécurisée, en tout cas, la première reflexe c’est de tester si ce mythe-là est vrai et c’est comme ceux-là que plusieurs femmes autochtones pygmée sont tombées victimes des viols, sont tombées victimes en tout cas de ces genres de traitement inhumains de la part des hommes bantous », déclare Espérance Binyuki, Coordonnatrice de l’Union pour l’Emancipation de la Femme Autochtone (UEFA).

Pour cette organisation de la société civile qui œuvre en faveur des femmes autochtones, plusieurs ethnies ou tribus voient la femme autochtone comme un objet, avec lequel on peut se servir soit pour des travaux de champs, soit pour des travaux lourds. C’est ainsi qu’on les utilise comme une main d’œuvre, indique l’UEFA.

Espérance Binyuki Nyota dénonce des abus dont sont victimes ces femmes. Elle fait savoir que sa structure sensibilise les femmes autochtones pygmées à la vigilance et à éviter de circuler tard la nuit ou à circuler seules dans les milieux non sécurisés.

Par ailleurs, Binyuki Nyota, soulève le nombre insuffisant des magistrats dans les territoires qui favorise l’impunité et les violations des droits des femmes autochtones pygmées en province.

« Les hommes bantous traitent également les femmes autochtones pygmées comme les objets de satisfaction de leur plaisir. A notre niveau, nous qui travaillons pour la promotion et la protection de femmes autochtones nous faisons de notre mieux pour travailler en collaboration avec l’Etat. Pour les cas de viol et violence, nous travaillons beaucoup plus avec l’appareil judiciaire, mais il y a toujours des problèmes, comme dans les territoires  où il y a moins des magistrats, le service n’est pas bien organisé. De fois on est obligé de recourir à la police, mais ils demandent des frais que des organisations n’ont pas pour commencer et terminer le dossier », précise-t-elle.

A la quête de la justice et réparation, que prévoit la loi ?

En réaction, Maître Delphin Nganiza, défenseur des droits humains et consultant au sein de Mama’s for Africa, renseigne que relativement aux violences sexuelles basées sur le genre, deux textes clés sont d’application en RDC à ce jour. Il s’agit notamment du code pénal congolais tel que modifié par la loi numéro 06/018 du 20 juillet 2006 ainsi que le code de procédure pénal congolais tel que modifié par la loi numéro 06/019 du 20 juillet 2006.

« Ces deux textes prévoient, définissent et punissent les infractions relatives aux violences sexuelles dont notamment le viol tel que repris à article 170 du code pénal congolais. Ces femmes autochtones ont dénoncé pour la énième fois, les abus dont elles ont été victimes, et au regard du droit positif congolais, la qualification à retenir est le viol, cela conformément à l’article 170 du code pénal congolais ainsi que l’article 14 taire qui code et procédure pénal tel que modifié en ce jour jadis », rassure Maître Delphin Nganiza.

Et d’ajouter, notre source souligne que ; « ces intervenantes ont encore la chance d’accéder à la justice et de se voir restaurées dans leur droit, en ce que le délai de prescription tel que prévu à l’article 24 du code pénal prévoit pour les infractions punissables de plus de 5 ans à la peine de mort, dont ici est repris le viol, la prescription est de 10 ans. Et donc il faudra juste renvoyer ces rapportés au moment de la commission des faits pour savoir si cette possibilité est encore envisageable. Ainsi, bien qu’ils aient donné leur consentement dans le temps, le consentement ne saurait être valable au regard de la révision intervenue du code de procédure pénal qui réglemente la preuve du consentement en matière de violences sexuelles ».

A lire :  Sud-Kivu : Le mariage précoce, un fléau qui compromet l’avenir des jeunes filles à Kalonge

Share This Article
Leave a comment